Les moments magiques d’un film quant on est assistant réalisateur
A l’heure où j’écris ces lignes je viens de terminer, en tant qu’assistant réalisateur, les 12 premiers jours de tournage d’un long-métrage que je tourne en ce moment. Et franchement le cœur n’est pas aux grandes envolées ni à l’amour inconditionnel du métier, un film en tournage ça a ses hauts et ses bas et ! Ces 3 derniers jours ont été plutôt difficiles autant physiquement que psychologiquement dus aux conditions climatiques, aux conditions de tournage qui se compliquent et à l’explosion des heures supplémentaires…bref je suis chafouin !…
Les 12 jours qui se profilent vont être encore plus compliqués…MAIS (il y a toujours un mais ;o) je ne peux pas ne pas vous parler des moments magiques qui se produisent parfois. Comme vous le savez le budget du film sur lequel je travaille est ridicule, de plus nous tournons sur une île où il n’y a que 80 habitants !!!! Mais comme tous les films (ou presque) j’ai besoin de figuration pour des scènes d’église, de bar ou de cortège…comment fait-on quand on a besoin de 35 personnes dans ces séquences alors que cela représente un peu moins de la moitié des gens de l’île ? île composée de pêcheurs, de commerçants et de gens très très très occupés ?
Et petit…que dis-je ?! Mini budget oblige, il faut que cette figuration soit gratuite.
L’assistant réalisateur et le temps
…La première chose à faire c’est de prendre le temps…oui mais comment prendre du temps alors que l’on en manque déjà cruellement pour le film ?! Et bien c’est simple, tout se fait pendant la prépa et les repérages…Problème : il est strictement impossible de faire tout cela à distance, la seule solution c’est donc de trouver quelqu’un directement sur l’île et qu’il y aille répandre la bonne parole, parler du projet et commencer à faire la liste des gens intéressés par de la figuration…gratuite…oui rien que pour nos beaux yeux.
Alors je vous vois venir avec vos gros sabots ;o) Vous vous dites « ça va 3 jours de figu sur 24 jours…y a pire non ?! » Seulement je ne vous parle que des grosses séquences, sur le reste des jours le nombre de figurants oscille entre 5 et 15…et le risque c’est aussi de se retrouver tous les jours avec les mêmes personnes…et puis 15 personnes sur 80 ça représente 1/5 ème de la population.
Je sais que pour le moment vous vous demandez où est l’instant magique lol Mais ça vient, ne vous impatientez pas.
Lors de nos repérages techniques début septembre nous nous sommes mis à la recherche de cette personne miracle qui pourrait avoir un peu de temps à nous consacrer pour parler du projet et rassembler les foules lol Franchement ce n’était pas gagné mais notre régisseuse générale de choc, Marianne, a réussi à trouver la perle rare…Ludovic, un responsable du port, a accepté de nous aider…Ludovic n’est pas îlien, il vient du continent (Ici on dit : de France !) mais connait tous les pêcheurs et entretient de très bons rapports avec les gens de l’île. Mais même pour lui, convaincre les gens de venir figurer, de surcroît gratuitement, ce n’est pas aussi simple.
Pourquoi ? Parce qu’une île fonctionne comme une maison, on y entre que si on y est invité et si nous montrons patte blanche, bref il faut être respectueux et poli…autant vous dire que pour une équipe de tournage ce n’est pas forcément gagné !!! Certaines productions et équipes ne font pas dans la dentelle et se croient chez elles, à peine le pied posé à terre. Il était évident que nous ne pouvions pas faire ça et que nous n’étions pas comme ça !
Le premier jour de notre arrivée Ludovic nous a fortement conseillé de faire une réunion autour d’un verre pour que la réalisatrice et moi-même expliquions le projet et ce que nous attendions d’eux. Ce rassemblement a été…un fiasco, 12 personnes ont dû faire le déplacement dont certaines par simple curiosité…autant dire qu’à ce moment là je pensais que nous étions mal barrés !!
J’avais tout de même prévu le coup et dans le plan de travail j’ai commencé par des petites journées de figuration pour que les gens puissent prendre la température, voire l’ambiance du tournage et que nous apprenions à nous connaître.

L’assistant réalisateur et ses moments de solitude
L’avantage que j’avais c’est que j’adore la figuration et j’ai le contact plutôt facile, ajoutez à cela une petite touche d’humour (et de modestie lol) et le tour était joué sauf que…nous ne sommes pas sur le continent ! Ludovic a fait un vrai travail de fond et a réussi à me dégoter une dizaine de figurants. Je les accueille, les remercie et je vais les placer dans le décor et là, à peine assis, deux figurants m’interpellent et me demandent si cela va être encore long…à peine arrivés !!!! Et j’ai besoin d’eux 1H30…autant dire que ce n’était pas gagné à ce moment là. Au final tout le monde est resté et a passé un bon moment.
Pour tout expliquer, un figurant « normal » est convoqué en début de journée et reste avec nous jusqu’à la fin du tournage. Nous les appelons lorsque nous en avons besoin et en fonction des axes. Là, j’ai dû remanier le plan de travail pour avoir des figurants 1h30 ou 2 heures…pour respecter les temps de pêche, de sieste et j’en passe ! Autant dire tout ce qu’il ne faut pas faire sur un film où on n’a pas de temps, ni d’argent. Mais sans ça…pas de figurant…alors on s’adapte !!!
A partir de ce moment des liens se sont tissés entre l’équipe et les îliens (merci Ludo !) et petit à petit la contrainte de venir quelques heures s’est transformée en « pause » en « détente » pour ces gens.
Nous vivons en autarcie sur l’île, nous vivons avec les gens. Nous nous croisons tous les jours, même si nous sommes là pour travailler et que nous avons un rythme soutenu, nous prenons aussi le temps de rencontrer les gens, d’aller vers eux. Pendant ma prépa les figurants n’étaient qu’un nombre de personnes à avoir par jour avec une utilité, aujourd’hui c’est : Jeanne, Eric, Christian, Hélène, Pifou, Azad, Loïc (dont nous utilisons le bateau), Masha (la femme de Loïc, pompier volontaire) Hadrien, Fifine, Flaf, Renaud, Alain et Laurence (dont nous utilisons le bar), Blandine et tous les autres…
L’assistant réalisateur et la magie
Et c’est là que la magie opère, c’est lorsque la confiance est là et que les gens viennent parce que ça leur fait plaisir de nous faire plaisir ! Nous avons reconstitué une procession pour les besoins du film, nous avons pris plus de temps que prévu et tout le monde était là et tout le monde est resté…sous la pluie et le vent ! Nous avons mis en boîte des plans incroyables grâce à eux ! Hier, j’avais prévu une mixte, c’est à dire mi- jour/ mi- nuit, nous devions filmer une scène de concert, nous avons pris du retard…beaucoup de retard, d’heure en heure j’ai dû reculer la figuration…elle est passée d’une convocation à 18 heure à 22 heure…et vous savez quoi ? Le bar était plein…les îliens nous ont tout donné, ça c’est un moment magique ;o)
Mais ce n’est pas tout. Quelles sont les probabilités pour que le bateau d’anglais parti pour un voyage d’un an tombe en panne le jour où nous reproduisons cette fameuse procession…que le père de famille soit musicien, amoureux du cinéma et prêt à passer une journée avec nous, accompagné de sa famille et sous la pluie ? Presque aucune et pourtant !
Ça aussi c’est un moment magique !
Je me bas contre la météo, mais quel bonheur lorsque la nature nous donne ce dont nous avons besoin…un clair de lune, des reflets sur la mer, des vagues déchaînées au bon moment, du poisson pour les moments de pêche etc…Un bateau qui casse son ancre lors d’une tempête et s’échoue sur la plage ou nous sommes en train de tourner….
Ces moments magiques font du bien. Je crois vraiment que nous faisons un beau film et ce sont ces moments qui nous permettent de profiter aussi de la magie du cinéma bien au delà des problèmes de respect, de confiance et de fatigue.
Espérons que cette magie opère encore les 12 prochains jours…rien n’est moins sûr…
Petit aparté. Il est 23H06, nous sommes Mercredi, je viens de terminer le 15 ème jour de tournage. Je suis cuit et je vais aller me coucher ;o) Pour les deux prochains jours ils annoncent une tempête énorme, j’ai dû remanier une nouvelle fois le plan de travail pour mettre l’équipe et les comédiens à l’abri afin de continuer à tourner le film. J’espère que tout ira bien et que nous aurons toutes les séquences prévues.
L’assistant réalisateur…avec un peu de recule sur ce qu’il à vécu
Je viens de relire cet article…c’est drôle comme les phrases : « les conditions se dégradent » et « l’explosion des heures supplémentaires » paraissent loin…Je sais que parfois je m’emporte, que la fatigue et les contrariétés peuvent parfois altérer mon jugement…je suis content de relire ces lignes ;o) Je n’efface pas totalement ce que j’ai dit, mais je vais les nuancer ;o) Ce n’est pas un film simple, la réalisatrice souhaite avoir son film et le meilleur de tout, c’est normal…nous sommes là aussi pour lui donner, c’est d’ailleurs la seule raison de notre présence. Je n’oublie pas que je vis là une expérience que je ne revivrai peut-être plus jamais, ici nous sommes presque coupés du monde extérieur, nous vivons tous ensemble et partageons l’amour du cinéma. C’est vrai que ma femme, mes enfants et ma mère me manquent, que les conditions sont difficiles et les journées longues, mais quel voyage ! Quelle expérience humaine et professionnelle incroyable. Je ne le ferai pas tous les jours LOL Mais je suis heureux d’être là avec ces collègues qui sont devenus des copains et des amis, les îliens avec qui nous vivons une chose incroyable…bref ce 12 ème jour dont je vous parlais en début d’article me paraît bien loin maintenant…
…En fait je crois que ça aussi c’est un moment magique :o)
Voilà pour cet article sur l’assistant réalisateur en tournage.
Si vous voulez voir le film « souffler plus fort que la mer » réalisé par Marine place, il y a une projection en avant première au Cap d’aide le 24 Juin pour le festival des Hérault :
- 21h00 : Avant-première Souffler plus fort que la mer (2016) de Marine PLACE avec Olivia ROSS, Aurélien RECOING, Corinne MASIERO, … (1h26)
Cliquez ici si vous voulez en savoir plus .
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Tom
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